L’intelligence artificielle révolutionne tous les aspects de notre vie et de notre travail, tant dans le domaine du développement technologique que dans celui des entreprises. Il s’agit d’une tendance majeure, qui va changer notre façon de travailler et de vivre dans un avenir proche.

L’analyse des données permet à l’IA de relier des points apparemment sans rapport, en apportant des résultats et en optimisant les tâches répétitives, ce qui se traduit par une plus grande efficacité des activités et des services.

Interview de Christophe Bortolaso, Responsable de la Recherche au sein de Berger-Levrault, autour du travail dans le domaine de l’intelligence artificielle mené par la Direction de la Recherche et de l’Innovation Technologiques.

L'IA s'intègre peu à peu dans nos vies et il elle est là pour rester. Comment se passe la recherche concernant cette technologie ?

Berger-Levrault a investi depuis une dizaine d’années un travail prospectif pour couvrir plusieurs enjeux technologiques et sociétaux du 21ème siècle. Cela se traduit par une dizaine de programmes de recherche et innovation et près d’une centaine de projets en parallèle. Les axes d’innovation de la Direction de la Recherche  et de l’Innovation Technologiques se distinguent en deux catégories :

  • les nouvelles manières de fabriquer des logiciels pour qu’ils soient plus flexibles, évolutifs, sécurisés, interopérables;
  • l’emploi de technologies de rupture pour créer des nouveaux usages ou rendre de nouveaux services.

Il est en effet nécessaire de mettre au point de nouvelles méthodes et outils de développement logiciel pour permettre des développements plus faciles et plus rapides. Cela s’accompagne d’une transition plus large ou le logiciel passe de l’état de produit à l’état de service consommable, composable et ajustable à la demande. L’émergence du cloud et des solutions en SaaS en sont les prémices et c’est cette direction que nous poursuivons. Toutes ces évolutions ouvrent la voie à des possibilités d’hyperpersonnalisation de nos solutions. Évidemment, beaucoup de progrès scientifiques et techniques sont encore nécessaires pour atteindre ce but pleinement mais nous empruntons très clairement ce chemin.

D’une autre coté, nous nous intéressons à ce que la technologie peut apporter en termes d’usage et de nouvelles possibilités : l’Intelligence Artificielle, l’Automatisation Robotisée des Processus (RPA), les algorithmes bio-inspirés, la datavisualisation, les jumeaux numériques seront demain au cœur de tous les développements. Il apparait très clairement que les progrès technologiques récents vont radicalement transformer un grand nombre de métiers. Ces technologies vont permettre de traiter l’information avec une plus grande flexibilité en étant capable de travailler sur la sémantique et sur les contenus sans imposer de structure, de format, de standard particulier. Ces avancées constituent un véritable pas en avant qui devrait à termes libérer les utilisateurs de beaucoup de tâches techniques et répétitives qui leur ont été imposées par la digitalisation.

 

Quelles sont les tendances des nouvelles technologies qui pourraient être appliquées à court et moyen terme dans le travail quotidien d'une entreprise ou d'une collectivité locale ?

Les tendances sont à l’hyper-automatisation, l’hyperpersonnalisation et l’hyper-interopérabilité.

À court terme, il y a une très large quantité de services qui vont pouvoir être assistés avec des automatisations. J’insiste sur le terme « assisté » car l’humain devra toujours rester dans la boucle. L’exemple archétypal est celui du guichet d’accueil que l’on peut soulager avec un chatbot (un agent conversationnel) pour traiter les demandes les plus courantes et simples.

Mais les plus grands changements auront lieu dans les métiers du back-office. C’est dans les tâches administratives, moins visibles du grand public, que l’hyper-automatisation va à moyen termes considérablement modifier le quotidien. Cela va se traduire par l’automatisation de processus dans leur totalité et par le soulagement de tâches très répétitives et fastidieuses.

Nous avons mené plusieurs projets expérimentaux en ce sens chez Berger-Levrault. Par exemple, lors de l’accompagnement de la commune espagnole Cornellá de Llobregat, nous avons mis au point une solution particulièrement novatrice exploitant de l’IA et de l’analyse sémantique pour identifier des habitant enregistrés en double dans le registre municipal géré par le logiciel WinGT distribué en Espagne. Nous avons mis au point une IA capable de construire une empreinte sémantique d’un enregistrement de base de données pour le comparer à d’autres. C’est un cas typique d’activité manuelle et fastidieuse qui peut être automatisé grâce à l’IA. Personne, n’aime vérifier à la main la cohérence de plusieurs centaines de milliers d’enregistrements, les algorithmes intelligents eux le peuvent.

De la même manière, grâce à l’analyse d’image et au DeepLearning, il est désormais possible d’extraire des informations de documents type comme des factures ou des devis en PDF et de les transformer automatiquement en mandat ou en bon de commande. Pour aller encore plus loin, nous pourrons anticiper demain grâce à l’analyse prédictive les consommations de budgets des collectivités et fournir des outils de pilotages extrêmement performants pour permettre aux décideurs de faire les meilleurs choix en toute transparence.

Où se situe la personne chargée de la gestion de ces tâches ?

L’élément humain restera toujours présent dans le processus, mais dans un rôle de gestion et de supervision. Mais l’IA n’est pas notre seul vecteur d’innovation. Nous investiguons également la création d’outils analytiques pour les décisionnaires. C’est là que les technologies de visualisation de données entrent en jeu. Par exemple, dans nos outils de gestion de la relation citoyen, nous essayons de construire  des datavisualisation mettant en évidence les flux de traitements des demandes des citoyens au sein de la collectivité. C’est un cas très intéressant pour lequel nous essayons de mettre en évidence la performance des workflows de traitement différents dossiers , leurs temps, les engorgements, les variations dans l’année, etc. Dans ce cas précis, pas besoin d’IA mais plutôt d’intelligence humaine. Ici la technologie doit montrer graphiquement aux décideurs ce qu’il se passe sur le terrain pour les aider à organiser au mieux leurs services. Bien au-delà d’un simple dashboard, nous cherchons à mettre en lumière, en forme et en couleur la donnée pour qu’elle soit la plus compréhensible par l’homme.

 

Comment l'IA est-elle appliquée au développement de logiciels ?

Il y a plusieurs niveaux de maturité et de complexité dans les technologies d’IA.

Il y a des utilisations de l’IA qui ont le potentiel d’arriver très vite dans les solutions numériques. Par exemple, la détection sémantique de doublons de citoyen en base de données est un usage très appliqué, concret et qui offre de très bons résultats. De la même manière l’analyse intelligente de document papiers, de tickets, de carte d’identité pourrait être appliquée à nos produits très rapidement. Il y a de multiples exemples de ce genre applicable à court termes.

D’un autre côté, il y a d’autres applications qui sont beaucoup plus complexes et qui nécessiteront encore plusieurs années de recherche et développement. Typiquement, ce que nous essayons de faire en termes d’analyse prédictive des budgets pour les collectivités locales est particulièrement délicat. C’est une problématique mathématique et statistique particulièrement complexe qui nécessitera encore beaucoup de travail. De la même manière, nous nous intéressons à l’anticipation des flux de population pour prédire les besoins de place dans les écoles. Ici aussi, ce sujet nécessitera encore un long travail de recherche avant de devenir une réalité dans les produits.

Quels seront les principaux avantages pour l'utilisateur de ces solutions ?

L’objectif de nos travaux en IA est sensiblement toujours le même : faciliter le travail des agents en automatisant les tâches des traitements de données très répétitives ou très fastidieuses. Une fois cela posé, les avantages apparaissent évidents : regain de temps et d’efficacité.

Quelles sont les contraintes légales ou réglementaires qui existent pour le développement de l'IA ?

Les années passées ont vu une profusion importante de réflexions aux échelles nationales et à l’échelle européenne, mais encore aucun encadrement clair et strict de l’IA. En avril 2021, la commission Européenne a proposé le tout premier cadre juridique sur l’IA. Ce dernier propose d’appliquer une évaluation du niveau de risque potentiellement engendré par ces algorithmes. Dans les premiers exemples proposés par la commission Européenne, le risque est déterminé principalement par cas d’application. Il va de soi que les risques engendrés par un robot chirurgien piloté par une IA sont bien plus sensibles qu’un chatbot qui fait l’accueil sur un portail citoyen.

De manière globale, ces questions ne sont pas totalement inhérentes à l’IA et restent applicables à tout type de traitement informatique qu’il s’appuie sur des technologies dites d’IA ou sur des méthodes de développement plus traditionnelles. C’est un problème de longue date qui a toujours questionné les autorités quant à l’automatisation dans les systèmes critiques qu’ils soient liés au transport, au militaire, en santé ou sociaux.

Nous verrons donc dans quelle mesure cette règlementation sera instanciée pays par pays et nous la suivrons de très près bien sûr. Mais il faut bien rappeler que nous (Berger-Levrault) n’avons pas attendu l’Union Européenne pour explorer ces questions et les risques associés. En témoigne nos questionnements de longue date sur la confiance et l’éthique algorithmique que j’évoquais plus haut et qui ont démarré dès 2013. Cela a d’ailleurs entre autres donné naissance à l’ouvrage édité par la maison d’édition Berger-Levrault qui s’intitule « La confiance à l’ère numérique » et que je ne peux que recommander.

Quels sont les enjeux ou les difficultés liés à l'application des nouvelles technologies dans l'utilisation quotidienne des utilisateurs ?

Il y a encore de nombreux défis à relever mais les traitements algorithmiques complexes tel que l’IA soulève systématiquement deux grandes questions : Confiance et Éthique.

D’une part, il faut garantir que les algorithmes que nous développons sont fiables. Car si cela peut s’avérer transparent pour l’utilisateur, il y a une énorme différence entre un bouton qui fait une action simple comme sauvegarder un fichier et un bouton qui réalise un traitement qui s’appuie sur l’IA. Le premier est prévisible, il réalise toujours la même action, il produit toujours le même résultat. Alors que le second réalise une action qui dépend du contexte et des données dont l’IA aura pu se nourrir. Par conséquent le résultat attendu dépend très fortement du contexte du client.

Il faut alors travailler très en amont à l’explicabilité des traitements réalisés par ces IA pour que l’utilisateur reste en contrôle total. C’est un enjeu de confiance dans le numérique qui est majeur. Pour anticiper ces questions, la solution consiste à mettre l’utilisateur au centre de toutes nos considérations. L’IA la plus performante du monde doit rester compréhensible, perceptible et contrôlable par un humain.

D’une autre part, certaines applications de l’IA soulèvent des questions éthiques qu’il ne faut pas négliger. En effet si l’IA doit accompagner le processus de décision humain, il faut accorder une importance toute particulière à la manière dont ces mécanismes d’apprentissage sont construits et plus particulièrement quant aux données utilisées pour les alimenter. Si l’IA apprend par l’exemple alors il faut lui fournir des exemples qui représentent au plus juste la diversité et la complexité de notre monde. C’est un vaste défi qui est au cœur de nos questions de recherche.