Une immersion dans les territoires du monde anthropocène

Comment « faire territoire » dans le monde anthropocène ? Le projet moderne est en passe d’échouer : l’urbanisation généralisée, la globalisation de l’économie, la consommation de masse, l’exploitation sans limite des hommes et des ressources naturelles ont transformé la planète au point de la faire changer d’ère géologique et de menacer les vivants qui l’habitent. L’Humanité doit s’adapter et le temps lui est compté.

Stéphane Cordobes explore ici l’hypothèse selon laquelle cette adaptation sera non seulement politique et territoriale, mais aussi culturelle et sensible. Son travail à Saint-Pierre-et-Miquelon est à la fois une enquête et un manifeste. Enquête prospective sur cette entrée dans l’anthropocène en évoquant tant la situation singulière de l’archipel français que celle de tous les territoires qui y sont confrontés. Manifeste esthétique quant à la place à accorder à l’art, à la sensibilité et à l’imaginaire pour s’engager dans cette bifurcation écologique.

Atmosphère, arrachement, liberté, ville, mobilités, énergie, dépendance, développement, effondrement, érosion, fracture, submersion, générations, attachements, autonomie, soin, engendrement sont autant d’idées qui ressortent de l’enquête prospective et sensible, du dia-logue que celle-ci orchestre entre récits et photographies, de la situation de Saint-Pierre-et-Miquelon que le cheminement révèle être archétypale de tous les territoires du monde anthropocène, de nos territoires de vie.

Ce livre interroge nos manières d’être et d’habiter une planète chaque jour plus vulnérable au travers d’une expérience esthétique et philosophique située.

Parution : 20 août 2020
Broché : 160 pages
Format : 17 x 24 cm
ISBN : 978-2-7013-2101-1
Réf. 121812
Prix : 32 € TTC

L'auteur

Stéphane Cordobes est philosophe, géographe et photographe. Après avoir dirigé l’activité prospective de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), puis du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), il est aujourd’hui conseiller à l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et chercheur associé à l’École urbaine de Lyon. Ses enquêtes dans les territoires interrogent les modes de cohabitation modernes et urbains ainsi que nos capacités à les faire évoluer pour relever le défi du changement global et de l’édification écologique du monde anthropocène. Il a récemment codirigé avec Xavier Desjardins et Martin Vanier l’ouvrage Repenser l’aménagement du territoire (2020, Berger-Levrault).

Postface

Michel Lussault géographe, professeur d’études urbaines à l’École normale supérieure de Lyon et directeur de l’École urbaine de Lyon qu’il a créée en juin 2017. Ses travaux consacrés à l’analyse des modalités
d’habitation humaine des espaces terrestres font référence. Ils se fondent sur l’idée que l’urbain mondialisé anthropocène constitue notre nouveau milieu de vie commune. Il a notamment publié L’Homme spatial. La construction sociale de l’espace humain (2007, Seuil), L’Avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la terre (2013, Seuil) et Hyper-Lieux. Nouvelles géographies de la mondialisation (2017, Seuil).

Extraits

« Si le temps le permet. » L’expression ponctue nombre de conversations à Saint-Pierre-et-Miquelon comme une ritournelle qui inlassablement se répète et rappelle que le climat manque de tempérance dans cette partie de la planète. La météo sur l’archipel est éprouvante. On dit ici avec malice que l’eau tombe à l’horizontale, que les avions atterrissent en crabe, qu’au-delà de dix degrés, on a chaud. Brume, brouillard, crachin, averses de pluie, de grêle et de neige, coups de vent et tempêtes rythment les jours. Le langage en porte la trace, tout comme les hommes et leur culture. Le territoire, malgré son urbanisation, son passé industriel, ses services et son confort, n’a pas intégré tous les codes de la modernité. Celle -ci supporte mal des aléas naturels qui compromettent son mode de développement optimisé, son productivisme et son consumérisme : elle les éradique, les contrôle et les écarte ou, faute d’y parvenir, les ignore. La modernité n’a ainsi cessé de prévoir, d’artificialiser, d’abriter, de climatiser, d’assoir son contrôle de l’atmosphère des espaces habités et exploités. La géo-ingénierie envisage même d’agir directement sur le climat pour le contrôler. Après tout, l’intensification de l’anthropisation de la planète a déjà déréglé les équilibres atmosphériques
au point de provoquer un changement de période géologique. Le projet moderne n’a jamais manqué d’ambition jusqu’à ce que son prométhéisme se heurte aux limites physiques de sa soutenabilité. Dans le nouveau
monde anthropocène, la ritournelle saint-pierraise et miquelonnaise pourrait bien devenir celle de l’Humanité.

La modernité a forgé un récit d’une force stupéfiante : alors que la promesse de progrès est loin d’être tenue, qu’une minorité d’individus s’enrichit à outrance aux dépens du reste de l’Humanité, que personne n’ignore l’épuisement des ressources et la dégradation de la planète auxquels cette vaste entreprise de colonisation donne lieu, que le discours de l’effondrement se propage, rien n’y fait. Partout dans le monde, on s’accroche et on veut encore croire à cette histoire et à ses chimères. On néglige la vulnérabilité accrue qui découle de l’emballement moderne. Un territoire éternue et les autres, tous les autres, s’enrhument. Un virus peut mettre à l’arrêt le monde et causer des dommages colossaux. Même là où un effondrement est déjà advenu, on n’en tire pas d’enseignements conséquents. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il s’agit du moratoire sur la pêche à la morue, de ce traumatisme qui a tant marqué les esprits. Pour le spécialiste de l’anthropocène, la région a moins été victime d’une crise économique que d’un effondrement. Un effondrement certes local et partiel, mais bien réel : un collectif humain a épuisé les ressources de son territoire, altéré de manière irréversible son écosystème, commis un écocide, perdu ses capacités de subsistance et sa raison de vivre. Aujourd’hui encore, il est difficile pour les habitants de s’en détacher, de ne pas dénoncer la trahison supposée de la France qui aurait pactisé avec le Canada au détriment de ses intérêts et de ceux de l’archipel. D’oublier ce comptoir qui accueillait les marins du monde entier, cette ville cosmopolite qui vivait de jour comme de nuit, l’abondance de poissons qui permettait aux plus audacieux de réussir, le travail dur, mais dont on pouvait être fier, ce développement du territoire auquel contribuèrent plusieurs générations. Le temps – toujours lui – semble s’être définitivement arrêté il y a trente ans, avec son lot de ressentiments et de forces vitales éteintes, d’aigreur et de repli sur soi, que la solidarité nationale et la consommation pansent mal.

Boutique Berger-Levrault

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